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Il nous est bien difficile de cacher notre excitation devant la parution de cette réédition. À notre humble avis, il s'agit de bien plus qu'un simple dépoussiérage d'une pièce de collection; cette sortie assure l'accessibilité auparavant impossible d'un bijou malheureusement méconnu issue du musical québécois des années 70. Plus rare que la grande majorité des albums progressifs de la même époque, tout ce qui entoure cet opus semble s'auréoler de légendes. Un claviériste d'exception ayant réalisé un seul album, une formation iconique, une pléthore de motifs occultes suivis d'une mort cruellement hâtif. Nul doute que Dimension M soit une proposition aussi curieuse que singulière.
Le récit de Dimension M débute naturellement avec Frank Dervieux lui-même. Après un parcours remarqué au conservatoire parisien, cet érudit reconnu pour son tempérament sulfureux travaille au début des années 60 avec le chansonnier Philippe Clay. Jean-Pierre Ferland, alors en visite dans la Ville lumière, rencontre le pianiste et l'invite à le rejoindre sur sa tournée québécoise.
Il s'agit habituellement de l'unique information que l'on trouvera au sujet de Dervieux : il fut le pianiste de Ferland. Certes, leur collaboration et leur grande amitié entraînèrent sa migration en sol nord-américain, mais leur travail conjoint ne fut que de courte durée alors qu'il est écarté du projet Jaune malgré des rapprochements évidents au niveau des ambitions sonores. On raconte que cette exclusion fût la bougie d'allumage à l'architecture de Dimension M .
Après quelques enregistrements de concert avec Monique Leyrac et Ginette Ravel, Dervieux, installés à Montréal, entre en 1972 au studio RCA Lté sur la rue de la Gauchetière, entouré d'une formation qui fera date. Yves Laferrière, à la basse, accompagne la guitare acidulée de Michel Robidoux et la batterie de Christian St-Roch, qui se joint à la voix éthérée de Christiane Robichaud. Ces quatre musiciens donneront ensuite naissance au groupe Contraction et à deux albums aujourd'hui convoités. En studio, la chimie s'installe rapidement. La rugosité du violon de Terry King rencontre les percussions tribales de Michel Seguin, voyageur énigmatique à qui l'on reconnaît la paternité controversée du rassemblement dominical des tams-tams du Mont-Royal, tandis que le génie cosmique de Dervieux s'illustre sur tout les morceaux dont il se fait guide.
Une fois l'album terminé, celui-ci s'inscrit dans les premières pages de la musique progressive d'ici. Ayant prospéré au sein des cultures anglaises et italiennes, ce son a rapidement trouvé un écho fort réceptif en sol québécois. Avec Dimension M , l'aspect tentaculaire du prog s'enracine auprès d'inspirations classiques, jazz, blues-rock, psychédéliques et avant-gardistes. Une véritable odyssée instrumentale sur six plages aux déclinaisons complexes vacillantes du funk à des atmosphères baroques plus feutrées, lancinantes, voire sombres, qui rappellent des passages de Soft Machine, Zappa et le kraut de Can. La virtuosité du résultat décoiffé et traduit une grande maîtrise de l'enregistrement.
Sans grande surprise, cette entreprise audacieuse ne fut pas couronnée de succès commercial. La facture instrumentale en fut tenue responsable en dépit que l'orchestration développée par la formation ouvrea la voie à plusieurs groupes de la deuxième moitié des années 70 tels que Sloche, Morse Code, Pollen, Ungava, Maneige et naturellement, Contraction.
Produit en pleine époque d'ébullition socioculturelle, Dimension M fait figure d'un ovni en s'affranchissant de toute revendication politique pour s'inscrire dans une démarche beaucoup plus abstraite, dévoilant une volonté personnelle de s'ouvrir à une évidence plus grande que le connu.
En effet, l'une des particularités singulières de Dimension M réside dans son approche conceptuelle. Avec le premier titre éponyme de L'infonie sortie en 1969, il s'impose comme l'un des premiers albums concept du Québec. Véritable précédent, la marginalité de l'œuvre réside essentiellement dans sa signature ésotérique. Dervieux ne cachait pas sa passion pour un certain mysticisme. Au contraire, il l'a placé bien en évidence. L'illustration représentée sur la pochette exprime une imagerie précolombienne. Fasciné par les mystères de l'humanité, des anciennes civilisations jusqu'aux théories ufologiques, il enveloppe ses morceaux, telle une bande sonore, d'une vapeur abstruse en les ornant d'explications détaillées sur les ruines ensoleillées de Baalbek ou encore les civilisations andines du Machu Picchu.
Le titre de l'album, Dimension M , reflète cette volonté insolite d'introduire une dimension parallèle mise de l'avant par le ruban de Möbius, célèbre figure composée d'une bande à deux faces refermées après torsion d'un demi-tour. . Une avancée et un retour sans rupture, pour un « futur passé », où les siècles s'enchevauchent. Selon Dervieux, les dimensions sont des réalités spatio-temporelles parallèles. Il devient donc cohérent que sa musique représente des compositeurs comme Brovlez et Liszt et qu'à partir de celle-ci, il nous invite à voyager des pyramides à l'Atlantide jusqu'à la conquête spatiale. Devant une entreprise infusée d'autant d'ésotérisme, il ne serait pas exagéré de présenter cet effort tel le premier album prog nouvel-âge du Québec.
Le pianiste dévoile d'ailleurs son enthousiasme pour celui qu'il définit comme le parrain spirituel de sa démarche créatrice, l'intempestif Robert Charroux, auteur pseudo-scientifique-conspirationniste ayant connu une reconnaissance mitigée en France.
La dédicace de l'album est cependant réservée aux trois médecins sherbrookois l'ayant aidé à vaincre les méandres d'un cancer quelque temps avant l'enregistrement, mais les symptômes de la maladie vaincue ont refait surface peu de temps après la sortie du disque pour emporter le musicien en 1975. Il était âgé de 43 ans.
Pour les collectionneurs, les échantillionistes ou les aventuriers mélomanes, Dimensions M demeure l'une de ces pépites dont l'histoire inusitée s'invite à chaque écoute. En hommage à son passage trop bref parmi nous et à la magie de son univers, l'unique album de Franck Dervieux renaît tel un ruban de Möbius à travers les noeuds du temps, 48 ans plus tard sur l'étiquette Return To Analog et nous sommes plus qu'enchantés de vous le partager.
« Ainsi pourrait-on toucher, voir, une musique faite de transparences de couleurs et de rythmes, retrouver et imaginer dans ses plans différents, ce que l'on sait, ce que l'on croit et ce qui pourrait être ou avoir été ; une musique qui unirait les résonances d'anciens et de nouveaux univers; une musique qui serait, qui est une projection de mondes parallèles. » - Franck Dervieux
Initialement sorti en 1972, « Dimension « M » est le seul album réalisé par le pianiste français Frank Dervieux avant son décès prématuré en 1975. Enregistré à Montréal avec le soutien du groupe connu plus tard sous le nom de Contraction, cet album concept ésotérique regorge de avec des allusions aux paradoxes temporels et aux civilisations perdues. Profondément influent mais unique en son genre, le son progressif de « Dimension M » est coloré de jazz-funk, de blues-rock, de romantisme et de psychédélisme.
LISTE DES TRACES :
FACE A
1. Dimension "M" (Pour Moebius) 2. Atlantide (-15 000) 3. Hyperborée, Civilisation "Un" 4. Concerto Pour Des Mondes Disparus
CÔTÉ B 1. Baalbek 2. Machu Pichu 3. Oreja, Mater 4. Présenter Du Futur
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